Erich Itor Kahn (1905-1956) travaille dans les années 30 à la radio de Francfort comme pianiste et arrangeur, à la demande du chef Hans Rosbaud
Symphonie N°5
, et il y défend la « nouvelle » musique, celle de Schoenberg en particulier. Après la prise de pouvoir des nazis, il perd son poste et il est contraint à l’exil dès 1933, parce que juif. A Paris, dont il aime l’effervescence (il y retrouve d’autres exilés, comme Alfred Döblin et Walter Benjamin) mais où il survit avec peine, il rencontre René Leibowitz auquel il enseigne la technique dodécaphonique. De 1939 à 1941 il est placé en détention par le gouvernement français puis par les autorités de Vichy, au camp de Marolles puis à celui des Milles (voir au sujet de ces camps français le remarquable Welcolme in Vienna d’Alex Corti
Welcome in Vienna
). C’est pendant cette période de captivité qu’il esquisse certaines de ses œuvres les plus importantes. En 1941, avant d’être déportés à l’Est pour y trouver une mort quasi-certaine, Erich et sa femme Frida réussirent à s’échapper et ils parviennent à gagner les Etats-Unis en août. Ce sera l’occasion d’un difficile troisième départ et c’est seulement au bout de trois ans que Kahn réussira à se remettre à la composition.
Leibowitz devait cosigner avec Konrad Wolff une étude consacrée à Kahn en 1958, intitulée « Un grand représentant de la musique contemporaine : Erich Itor Kahn »
Erich-Itor Kahn : Un grand représentant de la musique contemporaine
.
Ce disque comporte: Nenia, « lamentation pour les juifs qui sont morts en ces temps » -, écrit pour violoncelle et piano (1940-41), le Quatuor à cordes (1953) et la Chaconne du temps de guerre, pour piano (1943).
Nenia pourrait à première vue être considéré comme de la musique épigonale, qui dérive dans son esthétique d’œuvres de Schoenberg comme la Sérénade op. 24 et la suite op. 29
Pierre Boulez conducts Schoenberg (Coffret 11 CD)
. Mais ce serait minorer une musique dont le caractère, au plus loin de la résignation, exalte une forme d’esprit de résistance: le premier mouvement Andante molto sostenuto conduit à un puissant Allegro moderato, d’une durée double, une page âpre, forte et emportée comme le seront certaines œuvres du Schoenberg de l’exil en Californie. A noter que cette œuvre est interprétée sur ce disque par le grand violoncelliste Lucas Fels (ceux qui l’ont entendu en concert savent ce qu’il en est), un de meilleurs connaisseurs du répertoire contemporain, désormais violoncelliste du quatuor Arditti.
La première audition du quatuor remonte à 1957, l’année qui suit la mort de Kahn, elle est due (vous l’auriez deviné) au quatuor Juilliard. Inspiré par Bach et son écriture contrapuntique, le quatuor est de ces œuvres austères qui méritent qu’on leur réserve une chance, ce dont on est récompensé du fait de son lyrisme –un lyrisme d’après la catastrophe.
La « Chaconne » pour piano dérive dans son esthétique du Schönberg de la suite op. 25 et des pièces 33a et b, mais elle appartient aussi à une génération d’œuvres qui est celle des Sonates de guerre de Prokofiev.
C’est au livre de Michael Haas Forbidden Music
Forbidden Music - Jewish Composers Banned by the Nazis
que je dois la découverte de l’existence d’Erich Itor Kahn.